Les stéréotypes de genre dans les manuels scolaires

Je présente ici une analyse de la façon dont 18 manuels scolaires en primaire abordent la question des stéréotypes de genre dans les manuels scolaires d’histoire. Les écoles utilisent encore plusieurs de ces manuels ! Le détail des manuels est dans l’article que je t’invite à découvrir : 18 ans de préhistoire dans les manuels scolaires.

La terminologie

Les titres et les textes d’accompagnement des images sont très éloquents. Ils ne parlent pas de préhistoriques au pluriel ou d’ancêtres mais systématiquement d’« hommes préhistoriques » ou d’« hommes de la Préhistoire » sans presque jamais utiliser une terminologie qui permettraient, au moins,  de contrebalancer l’idée qu’il n’y aurait que des hommes.

Comment nommer les humains de la préhistoire ?

L’évolution de la terminologie chez Hatier est significative. On constate une évolution régulière de l’édition de 2002 à 2011 et une rupture en 2014 :

  • En 2002, les termes utilisés mentionnent les « hommes de Tautavel ».
  • En 2009,  il est question d’« habitants » et d’« êtres humains » ou d’« humains ». Dans une moindre mesure, on parle de « premiers peuples » : les « habitants de Tautavel ».
  • En 2011, l’expression « premiers peuples » se généralise dans l’ensemble du manuel. La notion de « peuple » a remplacé celle d’ « Hommes ».
  • En 2014 :
    • On trouve indifféremment les expressions des années 2009 et 2011 :
      • « les premiers êtres humains »,
      • les « humains »,
      • les « peuples de la Préhistoire »,
      • « les chasseurs de Tautavel »
      • auxquelles s’ajoute une dimension plus planétaire avec les « différentes espèces humaines » et « l’humanité ».
    • Mais c’est surtout l’apparition de la « Femme » ! Le mot totalement inexistant dans les éditions précédentes est mentionné à plusieurs reprises soit seul, soit dans l’expression « les hommes et les femmes de la Préhistoire ».
    • Il existe même une demie page dédiée à la question du genre : « où sont les femmes préhistoriques ? ». Les autres éditeurs ne sont pas préoccupés par la question du genre dans les manuels.
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N’y aurait-il que des hommes à la préhistoire ?

Chez Hachette, on observe une régularité dans l’usage du mot « homme ».

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De 1996 à 2014, il est question :

  • des « hommes de la Préhistoire »,
  • des « premiers hommes »,
  • de « l’apparition de l’Homme »,
  • de pré-humains (pas hominidé),
  • « des hommes »,
  • « le premier homme homo habilis »,
  • « le premier homme français »,
  • « l’homme de Tautavel », 
  • « l’homme de Néandertal »,
  • « l’évolution du crâne des hommes »,
  • « les premiers êtres humains »,
  • « les premiers hommes découverts » 
  • ou lorsqu’il s‘agit d’un question de « qu’est-ce qu’un Homme ? ».

L’édition « histoire des arts » de 2010 parle d’artistes, mais les auteurs arrivent à faire la performance de ne jamais parler de femme y compris lorsqu’il s’agit de commenter la Dame de Brassempouy qualifiée de « visage humain » !

Chez Belin (2010 et 2013) toutes les mentions sont construites à partir du mot « homme » :

  • « premiers hommes »,
  • « anciens hommes »,
  • « l’homme de Néandertal »,
  • « hommes préhistoriques »,
  • « homme de Tautavel »,
  • « l’évolution de l’Homme »,
  • « l’Homme préhistorique ».

La notion d’« hominidé » et les expressions « Les premiers hommes d’Europe » ou les « habitants de Tautavel » apparaissent en plus en 2013.

Magnard (2004 et 2010) favorise comme Belin et Hachette une vision masculine de la Préhistoire :

  • « premiers hommes »,
  • « l’homme ou les hommes préhistoriques »,
  • « l’homme de Tautavel ».

Les manuels scolaires sont essentiellement construits textuellement autour d’une vision stéréotypée de la différence des sexes.

L’iconographie

Il est aussi possible d’aborder la question du genre par l’intermédiaire des personnages qui sont figurés dans les manuels (Tableau 1).

Un rapide comptage permet d’évaluer la proportion d’hommes et de femmes quel que soit le type d’image. Il est possible de constater que le sexe féminin est toujours sous-représenté par rapport au sexe masculin.

Le cas de Magnard (2004) est particulier, car il s’agit de deux images d’archéologues, l’une contenant quatre femmes et l’autre un homme.

La proportion des hommes et des femmes dans les manuels scolaires.
Tableau 1 : La proportion des hommes et des femmes dans les manuels scolaires en primaire.

Changement de perspective : place aux femmes 🙂

Certains résultats nécessitent quelques commentaires et notamment un rééquilibrage des données quantitatives par une analyse qualitative. Par exemple, dans l’édition de Hatier de 2014 (Hatier 2014 p.10 et p.17), les femmes peuvent apparaître quantitativement légèrement moins nombreuses que les hommes mais qualitativement, le contexte du dessin leur donne un rôle supérieur : elles sont représentées sur l’ensemble des chapitres et réalisent des actions qui sont généralement du ressort de l’homme comme la taille du silex (voir figure 19) ou la fabrication du feu. La file indienne sur l’évolution présente deux femmes sur quatre personnages dont une « Cro-Magnon ». En 2009, il y avait cinq personnages dont deux femmes qui représentaient les deux premières espèces, Homo habilis et Homo ergaster : il y a donc eu comme une sorte de rectification paritaire et un positionnement de la femme au sommet de l’évolution.  Dans certaines vignettes (Hatier, 2014 p.17) ce sont les hommes qui font la cuisine !

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Hatier 2014 p10
Hatier, 2014 p.10
Hatier 2014 p17
Hatier, 2014 p.17

Discussion critique sur le sujet

Comment savoir si on a affaire à un stéréotype ?

La version 2014 a très clairement fait le choix d’inverser les stéréotypes même si quelques images les ont conservées comme celle de Tautavel.

L’appréciation du stéréotype ou du contre-stéréotype dépend du chercheur en l’absence de normes et sans doute du fait de sa propre représentation sociale.

Elles sont toutefois contextualisées et explicitées par un texte sachant que j’ai considéré comme stéréotypée :

  • toute image visant à positionner le sexe féminin dans un rôle d’infériorité et dévalorisant ou dans un espace intérieur
  • toute image visant à positionner le sexe masculin dans un rôle de supériorité et valorisant ou dans un espace extérieur.

C’est le cas, par exemple, de tous les visuels illustratifs fictifs sur Tautavel que l’on voit dans les manuels.

Certaines images peuvent être interprétées de façon variée comme chez Hatier (2009, p. 25). La position de la femme au premier plan, associée à la découpe d’un renne, vient rééquilibrer le groupe d’hommes chasseurs qui arrive en arrière plan. Toutefois, le type d’activité de cette femme et de sa partenaire et la répétition de ce discours iconique, deux pages plus tard (Hatier 2009, p. 27), donnent à  cette image un caractère stéréotypé.

Que dit la recherche actuelle

La recherche en archéologie tend de plus en plus à rééquilibrer le rôle de la femme à la préhistoire. Par exemple, l’activité de “tailler le silex” requiert une formation importante pour atteindre un haut niveau de maîtrise. Très peu d’archéologues savent actuellement tailler le silex et leur niveau est très loin d’égaler celui des Préhistoriques. Une formation nécessite du temps ainsi que l’activité elle-même. On peut imaginer que les femmes enseignaient aux jeunes enfants et que ce sont elles qui maitrisaient pleinement les techniques (ce qui ne veut pas dire que les hommes ne savaient pas tailler). Rester au campement pour tailler ou enseigner le débitage lithique (lithique=pierre) n’est donc pas une tâche inférieure. On pense également que l’art, la chasse de petits et de gros animaux ou la pêche étaient aussi des activités pratiquées par les femmes… Dans les manuels scolaires, seuls les hommes chassent et utilisent des propulseurs (arme de jet utilisée au Paléolithique) !

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Je conseille cette lecture :

Non, les femmes préhistoriques ne consacraient pas tout leur temps à garder les enfants en attendant que les hommes reviennent de la chasse. Aucune donnée archéologique ne prouve que, dans les sociétés les plus anciennes, certaines activités leur étaient interdites, qu’elles étaient considérées comme inférieures et subordonnées aux hommes. Cette vision de la préhistoire procède des a priori des fondateurs de cette discipline qui naît au xixe siècle. S’appuyant sur les dernières découvertes en préhistoire et l’analyse des idées reçues que véhicule, jusqu’à notre époque, la littérature savante, Marylène Patou-Mathis pose un autre regard sur l’histoire de l’évolution et déconstruit les processus qui ont invisibilisé les femmes à travers les siècles. Marylène Patou-Mathis est préhistorienne, directrice de recherche au CNRS.

Conclusion

Au demeurant, l’ensemble des manuels propose une vision iconographique qualitativement et/ou quantitativement stéréotypée hormis les photographies d’archéologues où l’on peut voir parfois plus de femmes que d’hommes en train de réaliser la même action, à l’exception de l’édition de Hatier de 2014.

Ces stéréotypes ne sont pas le reflet de la recherche en préhistoire et de nombreux manuels scolaires relèguent encore la femme à des tâches domestiques moins valorisées que la chasse du gros gibier. D’ailleurs, penser que la chasse du gros gibier est “plus noble” est peut-être une représentation moderne que les Préhistoriques n’avaient pas 🙂

Les stéréotypies iconiques des manuels s’ajoutent à la stéréotypie des textes et cette action conjointe ne peut que contribuer au renforcement d’une représentation sociale basée sur la différence du rôle des sexes.

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